Deux semaines aux iles Canaries en Erasmus :
Sur l’île de Lanzarote aux Canaries, on s’attend à trouver des volcans, des plages mais pas de vignes. Et pourtant, depuis les colons espagnols la vigne a pris ses racines dans ces sols basaltiques pour en faire l’un des vignobles les plus insolites au monde. En 1730 commence une succession d’éruption volcanique qui va durer 6 ans, et recouvrir la quasi-totalité de l’île. Des villages sont ensevelis sous d’énorme quantité de lave.
Suite à ce cataclysme, les poussières en suspension créées par ces éruptions sont petit à petit retombées au sol pour former ce que les locaux appellent le « rofe ». Cette couche de poussière et morceaux de lave va permettre la culture de la vigne. Elle a de très nombreuses porosités ce qui lui permet de retenir l’humidité. Avec une pluviométrie d’environ 100mm/année, c’est ce type de sol qui va permettre la culture de la vigne.
Le vignoble de Lanzarote est l’un des plus atypique au monde. Tout le travail fait à la vigne est manuel, pas de travaux de sols car rien n’y pousse. Les vignes sont plantées entre 700 et 900p/ha de densité et tout en plan direct. On creuse un trou dans le « rofe » avant la plantation de chaque pied dont la hauteur dépend d’où se situe la terre pour que les racines s’y installent (entre 15cm et 3m). La plupart du temps, les vignes sont entourées d’un mur de pierre de lave qui les protège des vents violents sur l’île.
Le projet Puro Rofe est un négoce de raisins qui s’est créé en 2017 dont tous les raisins sont sourcés chez des producteurs qui s’investissent sur le long terme, los « valientes ». Pour l’instant, trois viticulteurs fournissent les raisins à Puro Rofe, Vicente Torres qui travaille aussi à la cave, Pedro Umpierrez et Ascensión Robaina. La culture de la vigne doit être biologique, ce qui est rare sur l’ile. En règle générale, le raisin sur Lanzarote se vend entre 1,50€/kg et 2€/kg, quand Puro Rofe les achètent autour de 3€/kg suivant les années. Sur l’île, le secteur viticole est réparti en majorité entre deux métiers, les viticulteurs et les négociants. Il existe tout de même quelques vignobles qui produisent les raisins et commercialisent leurs vins.
A Puro Rofe, les vins sont élaborés dans une ancienne « Bodega » de manière artisanale avec les cinq cépages majoritaires de l’ile, le Listan Blanco, Listan Negro, Malvasia volcanica, Moscatel et Diego. Les vins sont travaillés selon leur région de provenance pour la plupart, afin de respecter au mieux les différentes influences terroir (embruns marins, exposition …), comme Masdache ou La Geria. La particularité à Puro Rofe c’est le respect de la matière première, le raisin.
Dans la cave, il y a une petite pompe, deux presses verticales, 5 barriques, 5 cuves inox de 10 à 20hl et 2 amphores. Le foulage se fait aux pieds puis les raisins sont pressés verticalement, l’éraflage est réalisé à la main. Les fermentations sont réalisées avec les levures indigènes, les vins s’élèvent entre 9 et 12 mois suivant les cuvées pour une production totale en 2018 de 12 000 bouteilles. A la cave, je travaillais avec Vicente le viticulteur, qui réalise aussi le vin de Puro Rofe et Carmelo, l’œnologue qui venait nous aider pendant la moitié de la semaine.
Aujourd’hui les méthodes de culture traditionnelle sont remises en cause par quelques vignobles qui s’essayent au palissage et autres méthodes occidentales. L’industrie prend encore une fois le pas sur l’artisanat. Mais les acteurs locaux veulent s’organiser et créer un cahier des charges pour garder ces modes de conduite de la vigne qui façonnent leurs paysages et leurs cultures.
Mon choix de partir faire ce stage aux canaries s’est décidé lorsque j’ai vu les photos de ce vignoble. Mais je ne m’imaginais pas qu’à la période de mon stage, fin juillet – début août s’y déroulait les vendanges ! Les premières en Europe. Mon expérience fût de deux semaines, c’est très court pour se rendre compte du travail qui est effectué, et de comprendre l’organisation du secteur, mais j’ai pu participer aux vendanges et à l’élaboration des vins. Un bon échauffement avant le mois septembre en France !
Je suis arrivé pendant la deuxième semaine de vendange. Il faut savoir que Puro Rofe commence les vendanges en général deux semaines avant les autres pour garder l’acidité naturelle des raisins avec tout de même un potentiel phénolique assez important. Avec un été, très humide en 2019, la récolte fût compromise par deux types de maladies, l’oïdium et une cochenille qui rend les grappes noires et collantes, mais les jus ont gardé une bonne concentration avec une acidité très bonne. Les effets du changement climatiques se font sentir, depuis une dizaine d’années les récoltes sont très nettement en baisse par rapport aux 70 dernières années, le temps y est de plus en plus instable, des étés humides et des hivers sec et chaud favorisent le développement des maladies.
Aujourd’hui, les vins de Puro Rofe après seulement deux ans d’existence sont primés par les journalistes spécialisés, et nous les trouvons sur les tables de grands restaurants. La distribution de ces vins est réalisée par un des associés du projet, Rayco Fernandez.
Mon expérience à Lanzarote fût nettement au-dessus de mes attentes, au niveau de l’apprentissage de la culture, des méthodes et des rencontres. Je remercie toutes les personnes de Puro Rofe pour m’avoir permis de vivre cette expérience et partager leurs connaissances, ainsi que le Lycée viticole - CFPPA de Beaune et l’Europe.
Antoine Plouzeau